Chronique de AMR

Ce livre de Mélinda Schilge, Ciao Bella, figurait dans ma PAL « services de presse » depuis le mois de mars et quand son tour est arrivé, je ne me souvenais plus très bien comment il était arrivé entre mes mains ; son sous-titre, La Vie l’emportera, me faisait penser à une romance et sa couverture à un roman feel-good… et c’est donc dans un certain état d’esprit que je commençais ma lecture.
Qu’elle n’a pas été ma surprise de pénétrer dans le domaine de l’entreprise, dans le monde de la haute technologie et plus précisément dans le développement des drones autonomes à la fois à des fins mercantiles, militaires et terroristes…
Le personnage principal est un ingénieur qui travaille sur la programmation d’un projet novateur, soi-disant au service de tous, piloté par les plus hautes instances de l’État et visant à développer un service de drones autonomes en milieu urbain. Il est partagé entre son manque d’enthousiasme pour ce programme, ses craintes pour la sécurité de la population et ses propres soucis familiaux, encore très ébranlé par le suicide de sa tante. Il porte aussi en lui le poids de son passé en Afghanistan où il a appris à ses dépens qu’un esprit malveillant peut transformer les drones en armes.
J’ai eu un peu de mal au début à entrer dans cette histoire qui me semblait partir dans beaucoup de directions à la fois, le côté familial et le versant professionnel me paraissant un peu trop plaqués l’un à l’autre dans le profil de Benjamin et sans lien entre eux. Puis, quand la narration a pris des allures de thriller et de récit de vengeance, avec l’apparition d’une organisation franco-afghane de lutte contre les talibans, j’ai accepté le pacte de lecture sans plus trop me poser de questions et compris le sens des souvenirs qui hantent ce personnage, « deux spirales qui se relayaient, et menaçaient de l’entraîner par le fond »… Parvenue à environ la moitié du roman, j’étais suffisamment captivée pour oublier mes réticences du début.
Et puis il y a aussi la belle amitié entre Benjamin et la fillette de sa collègue chargée de la communication autour du projet : même si leurs avis professionnels divergent, leur respect mutuel et leur rapprochement autour de l’enfant handicapée apporte un bel écrin au récit, une échappatoire.
Mélinda Shilge maîtrise le monde des grandes entreprises et leurs fonctionnements qu’elle sait rendre vraisemblables sans en faire trop, sans alourdir son récit.
Pour toute la partie plus technique sur la fabrication et le fonctionnement des drones classiques et des nanodrones furtifs, j’avoue un peu mon désintérêt global ; je suppose que, pour d’autres lecteurs(trices), au contraire, ces passages revêtent de grandes qualités documentaires… J’ai mieux compris les comparaisons avec la morphologie des oiseaux ou encore le vol en formation des essaims de frelons asiatiques.
L’auteure sait également manier l’art des contrastes et des rapprochements antagonistes pour asseoir son propos : la fillette qui se débat « avec des moyens d’enfant pour combattre des soucis d’adulte » et y réussit plutôt bien tandis que Benjamin hésite à mouiller sa chemise pour combattre au grand jour un programme qu’il sait dangereux, le microcircuit d’élevage de brebis de ses parents comparé aux sphères d’envergure dans lesquelles il évolue professionnellement…
La montée en puissance des péripéties est bien dosée ainsi que la construction psychologique des personnages qui sont suffisamment ambivalents pour s’extraire d’éventuels stéréotypes.
Le côté romance de cette histoire est suffisamment discret pour ne pas trop polluer l’intrigue principale.
Si je devais formuler juste un bémol, ce serait et cela n’engage que moi, la mise en résonnance du parcours de la tante décédée qui auréole et guide le héros principal… Il m’a manqué quelque chose, à la fois dans le (trop ?) peu qui en est dit et dans l’articulation de ce vécu avec les choix de Benjamin.
Ce roman est en fait un récit de révolte et de lutte à l’instar du chant partisan italien « Bella Ciao » et le sous-titre porte un message simple et fort d’espoir et d’encouragement à agir, à faire face au lieu de fuir, même pour celles et ceux qui ne se sentent pas l’étoffe des héros : « ces objets qui portent nos espoirs, peuvent aussi être manœuvrés par le désespoir… N’arrête pas le progrès, mais n’oublie jamais que le désespoir ne doit jamais prendre les commandes ».
J’aime être étonnée par mes lectures, quand un livre me surprend et m’entraîne là où je n’avais pas trop prévu d’aller.
Ce Ciao Bella est une excellente surprise…
Cette lecture valide :
La lettre S du défi Abécédaire
A propos du livre :
Résumé : Ingénieur, Benjamin se révèle incapable de réagir à un projet visant à déverser des drones autonomes au cœur des villes. Il pressent que le programme est un danger pour les populations, même si l’engin doit bénéficier de son propre réseau ; il manque cependant de courage depuis le suicide de sa tante. Et son enthousiasme d’expatrié passionné a pris fin en Afghanistan où il a appris à ses dépens qu’un esprit malveillant peut transformer le drone en arme. Il lui faudra rencontrer Stella, une fillette handicapée, pour recouvrer l’envie de se battre.
Mais les intérêts de Buleo, son entreprise, l’ambition du ministre des transports, et de Tanya, sublime arriviste en charge de la communication du projet, sont autant d’obstacles à franchir, et les stratagèmes qu’il imagine ne suffisent pas à ébranler une machinerie bien huilée, soi-disant au service de tous. Finalement, la dangerosité de ce concept révolutionnaire se révèle enfin au grand jour quand Benjamin décide de dénoncer l’horreur du drame qu’il a vécu, quitte à risquer une mise en examen par la Cour Pénale Internationale. Ses révélations vont par ailleurs réveiller des blessures enfouies dans la mémoire des Afghans, en particulier celles de la famille Khan, réfugiée en France depuis plus de vingt ans.
Ce combat va permettre à Benjamin de sortir de son apathie et de se donner un nouvel avenir tout en retrouvant ses origines, sans renier pour autant son engouement pour son métier.
Roman de 237 pages – se le procurer
Le mot de Sally Rose
Merci beaucoup pour ce partage AMR. A découvrir 😊