Chronique de Amélie

Ecrit au travers des yeux d’un enfant, « La vie devant soi » est une critique sociale intelligente et toute en subtilité. Dans une langue bariolée et pleine d’innocence qui emprunte aux expressions toutes faites des adultes (pas toujours assimilées), aux clichés les plus racistes (sans pour le moins du monde en véhiculer l’esprit), ponctuée de contresens et de notions approximatives, qui a tout pour être déstabilisante mais qui finit par ne plus l’être; Momo nous explique pourtant la vie, sa vie et celle de son quartier populaire parisien, avec la plus grande lucidité.
Pauvreté, préjugés et craintes côtoient fraternité, amour et générosité. Et quand les six étages sans escaliers finissent par terrasser la ténacité du corps et de l’esprit déclinants de Madame Rosa, c’est toute une communauté des plus hétéroclite et multiculturelle qui se relaie au chevet de cette vieille juive, ex-prostituée, rescapée d’Auschwitz, pour tenter d’apaiser et d’embellir ses vieux jours. Momo fera tout ce qui est en son pouvoir pour lui éviter sa plus grande crainte : celle de finir sa vie comme un légume dont la science prolongerait la vie pour la seule raison qu’il est possible de le faire.
En mettant dans la bouche de Momo le mot « avortement » en lieu et place du mot « euthanasie », Romain Gary invite habilement à rapprocher ces deux termes et par cela à réfléchir sur leur similitude : celle de se réapproprier le pouvoir de choisir ce qu’il advient de nos vies et de nos corps.
Profond, intensément humaniste, ce roman incite à se pencher sur les thématiques très actuelles de la fin de vie, de la maladie et de vieillesse, des lieux où naît la solidarité, et offre un point de vue essentiel sur l’euthanasie choisie, un thème sur lequel la législation française peine à bouger.
Cette lecture valide :
- La consigne n°25 du défi Les déductions élémentaires
- La consigne n°12 du défi Les Expressions gourmandes
A propos du livre :
Résumé : Signé Ajar, ce roman reçut le prix Goncourt en 1975. Histoire d’amour d’un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive : Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que «ça ne pardonne pas» et parce qu’il n’est «pas nécessaire d’avoir des raisons pour avoir peur». Le petit garçon l’aidera à se cacher dans son «trou juif», elle n’ira pas mourir à l’hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré «des peuples à disposer d’eux-mêmes» qui n’est pas respecté par l’Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu’à ce qu’elle meure et même au-delà de la mort.
Roman de 273 pages – se le procurer
Le mot de Sally Rose
Merci beaucoup pour ce partage Amélie. Un classique contemporain qui traverse les générations 😍