French uranium d’Eva Joly et Judith Perrignon

Chronique d’AMR

French uranium est un thriller politico-financier qui m’a d’abord attirée par le nom de l’une des deux auteures… Pour moi, Eva Joly était surtout une magistrate et une femme politique du mouvement écologique. Je ne l’imaginais pas comme écrivaine, et encore moins dans ce genre de roman, ici écrit à quatre mains avec Judith Perrignon.
 
Le suicide d’un ministre entre les deux tours de l’élection présidentielle…
Des secrets de famille… Oui, avec la mort récente de son fils, mais pas seulement : la vie politique est un océan de mensonges et de compromis…
Quand les milieux financiers et leurs actionnaires gouvernent le monde en sous-main, tout est permis pour faire du profit, même tuer des ouvriers dans une mine d’uranium nigérienne pour faire grimper les cours…
C’est compter sans la détermination des lanceurs d’alerte qui vont affronter l’infernale machination et saper les fondements et accointances douteuses de la campagne électorale française et des services secrets de trois continents.
 
« Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre »… Avec ces vers de François Villon en épigraphe, les auteures nous préviennent qu’elles vont nous emmener dans un univers sans foi ni loi ; en effet, c’est bien ce que sont les milieux de la politique et de la finance.
Je comprends mieux la présence d’Eva Joly qui maitrise intimement les arcanes de la criminalité politico-financière, au vu des nombreuses affaires particulièrement médiatisées qu’elle a instruites. L’intrigue s’inscrit à un moment crucial de la course à la présidence de la République quand le Président sortant affronte un candidat d’extrême droite, bien placé dans les sondages ; cela nous rappelle des souvenirs pas si lointains.
En parallèle, des policiers nigériens depuis Lagos, une journaliste et un jeune avocat à Paris tentent de mettre en lumière les complicités entre une banque américaine et des politiciens français.
L’ensemble est à la fois très factuel, précis et chirurgical et particulièrement complexe. C’est aussi très spectaculaire et cinématographique dans l’enchainement des péripéties.
 
C’est la deuxième fois qu’Eva Joly et Judith Perrignon collaborent pour écrire. La lecture de French Uranium m’a donné envie de découvrir Les Yeux de Lira, pour retrouver le personnage de la journaliste et lanceuse d’alerte russe que je trouve particulièrement attachante et déterminée tout en arborant un fatalisme désarmant. Dans ce premier opus évoluent également Félix et Nwankwo qui reviennent dans ce roman.
 
Un bon thriller, même si je l’ai trouvé un peu long, si je me suis parfois un peu perdue dans les liens entre les personnages et si j’espérais, compte tenu du parcours d’Eva Joly, en apprendre un peu plus sur les coulisses du pouvoir.

Cette lecture valide :

A propos du livre :

Résumé : Alors que le premier tour de l’élection présidentielle vient d’avoir lieu en France, le ministre de l’industrie est retrouvé mort pendu dans son bureau. Fidèle au chef de l’état sortant, cet homme avait récemment vu son fils mourir dans un accident de moto. Mais le chagrin est-il réellement la cause du décès ? Au même moment, au Nigéria, des islamistes sèment la terreur parmi les ouvriers d’une mine d’uranium, alors qu’à New-York, un trader fait face au scandale qui touche un de ses proches amis… Thriller politique, écologique et financier, French Uranium nous emporte au coeur d’un système en défaillance, aux côtés de trois femmes libres, prêtes à s’opposer à l’État !

Roman de 410 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

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Le Coup de Prague

Chronique d’AMR

J’ai découvert un peu par hasard Jean-Luc Fromental en lisant une BD dont le scénario rendait hommage à Georges Simenon, De l’autre côté de la frontière
Ici, il s’agit pour l’auteur et l’illustrateur Miles Hyman de mettre en bulles et en images un versant peu connu de la biographie de Graham Greene… Le Coup de Prague fait référence à la carrière d’espion de l’écrivain anglais, recruté pendant la seconde guerre mondiale par le MI6, le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni. 
 
Graham Greene débarque à Vienne, au cours de l’hiver 1948 pour un bref séjour, officiellement à la recherche d’idées et de matière pour l’écriture du scénario du film Le troisième Homme que Carol Reed va réaliser quelques mois plus tard et qui deviendra l’un des plus grands films noirs de l’après-guerre.
À son arrivée, il est pris en charge par Elizabeth Montagu, une femme énigmatique, également liée aux services secrets britanniques par son passé militaire. Très vite, elle va comprendre les enjeux politiques camouflés derrière cette mission en apparence littéraire et cinématographique ; peu à peu, dans la capitale autrichienne meurtrie et occupée par les quatre puissances alliées, américaine, française, anglaise et russe, Graham Greene va l’entrainer à sa suite dans un jeu de piste captivant jusqu’au fameux « Coup de Prague »…
 
Cette BD est un vrai roman graphique d’espionnage qui reprend des ambiances du film, Le troisième Homme, comme la visite des égouts, le trafic de fausse pénicilline… L’ensemble est d’ailleurs très cinématographique, avec des courses poursuites, des crissements de pneus, des scènes dans des bars, des hôtels, des planches sans textes très visuelles…
C’est aussi très sombre non seulement à cause de la saison hivernale, des façades abimées, des atmosphères obscures des clubs underground mais aussi par les parts d’ombre des personnages qui ne sont pas toujours ce que l’on croit qu’ils sont. Ici, les dessins et les couleurs de Miles Hyman servent tout un univers où les tons gris des extérieurs sont à peine contrebalancés par les lumières ocres ou rosées des éclairages intérieurs ou les tons plus chauds des vêtements des personnages.
Elizabeth Montagu est la narratrice intra-diégétique de cette histoire qu’elle auréole de sa personnalité ténébreuse et sensuelle. Elle se remémore les événements, analyse avec lucidité ses propres réactions au moment des faits ; en effet, Graham Greene la traite avec courtoisie, mais sans céder à ses charmes, et n’hésite pas à l’utiliser pour des tâches très subalternes et à la tenir éloignée de ses affaires.
L’intrigue est très complexe, toute en développements et ramifications inattendues jusqu’à un dénouement particulièrement surprenant. Personnellement, j’ai partagé « la brume mentale d’Elizabeth », me suis sentie un peu perdue souvent.
J’ai apprécié que ce récit tienne également compte de l’engagement politique de Graham Greene et de son rapport particulier à la religion ; Jean-Luc Fromental s’appuie vraisemblablement sur un solide travail de recherche.
 
Encore une fois, lire un roman graphique de Jean-Luc Fromental est un vrai régal, pour les yeux, pour la forme et pour le fond ; il nous donne à voir une autre facette de ce grand écrivain qu’était Graham Greene.
Une réussite !

Cette lecture valide :

A propos du livre :

Résumé : Hiver 1948, dans le blizzard de la capitale autrichienne sous occupation des quatre puissances. Dépêché par le studio London Films, G. travaille à l’écriture de son prochain long métrage, assisté par l’énigmatique Elizabeth Montagu. Cette dernière, dont le passé militaire et les relations l’attachent aux services secrets britanniques, découvrira bien vite que le prétexte artistique dissimule de véritables tensions politiques et que les lendemains de guerre ne sont pas toujours chantants. Cette mission en apparence paisible basculera dès lors dans l’atmosphère sournoise d’une révolution fulgurante que l’Histoire retiendra sous le nom de « coup de Prague ».

Bande dessinée de 112 pages – se la procurer

Le mot de Sally Rose

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Phèdre de Jean Racine

Chronique d’AMR

C’est à la faveur d’un podcast France Culture que je redécouvre Phèdre de Racine, pièce étudiée au collège, à une époque où l’on apprenait par cœur les tirades et monologues les plus significatifs que l’on commentait également en détail, puis relue souvent depuis car j’avoue une sensibilité particulière pour l’alexandrin tragique.
En effet, le partenariat qui lie France Culture et la Comédie-Française a permis d’enregistrer de nombreuses pièces du répertoire du théâtre classique et ainsi de constituer une mémoire radiophonique de notre patrimoine théâtral. 
À l’issue de cette écoute, j’ai repris ma vieille édition des classiques illustrés Hachette et retrouvé avec bonheur les passages connus, jamais vraiment oubliés.
 
Le propos de la tragédie, d’inspiration antique prise chez Euripide, Sénèque, Ovide et Plutarque, en quelques mots…
Seconde femme de Thésée, Phèdre, jeune encore, brule d’une passion secrète et coupable pour son beau-fils Hippolyte, cherche par tous les moyens à l’éloigner d’elle et songe même au suicide. Son beau-fils, qu’elle adule et rejette à la fois, a l’intention de quitter Trézène pour partir à la recherche de son père disparu pendant la guerre de Troie et que tout le monde tient pour mort, fuyant aussi par là son propre amour pour Aricie, princesse déchue et sœur des Pallantides, clan ennemi.
La mort que Phèdre implore pour expurger son crime sera retardée par la nécessité successorale puis par l’annonce du retour inespéré de Thésée. Entretemps, Phèdre a avoué ses sentiments à Hippolyte et ce dernier l’a repoussée avec horreur et dégout. La suivante de Phèdre distille la calomnie et, maudissant son fils qui l’aurait outragé, Thésée appelle sur sa tête la vengeance des dieux, apprenant trop tard son innocence, de la bouche même de Phèdre qui meurt à ses pieds.
C’est au tour de Thésée d’expier ses erreurs, rendant les honneurs funèbres à Hippolyte et adoptant Aricie.
 
J’ai toujours été très touchée par la bouleversante humanité de Phèdre, à la fois victime et coupable, marquée d’une terrible hérédité car « fille de Minos et de Pasiphaé » (mère du Minautore), névrosée, hystérique, jalouse, mais capable aussi de tendresse, ambivalente toujours. Sa passion pour Hippolyte n’a d’incestueuse que le nom car, à Athènes, une veuve pouvait épouser le fils de son mari ; Racine met ici en avant un droit canonique, un inceste contre nature, d’ordre social, qui pousse une femme mûre vers un jeune homme qui pourrait être son fils.
J’ai beaucoup moins d’affinités avec Hippolyte, trop sûr de lui au début de la pièce, puis beaucoup trop naïf par la suite… Il critique les amours de son père tout en se vouant lui-même à une passion que les convenances lui interdisent. Ses qualités de courage, de grandeur d’âme et de sang-froid sont cependant mises en lumière dans sa mort spectaculaire et dramatique.
Thésée est à la fois un héros guerrier, un père et un époux… Au début, il brille par son absence et n’apparaît que dans les ressentis des autres personnages vis-à-vis de lui. Son retour est une sorte de résurrection. Cependant, son personnage manque de discernement tant il se laisse facilement manipuler par Œnone ; il devient pitoyable quand il réalise ses erreurs.
Aricie est charmante et aimable, timide et romanesque… Malgré tout, son personnage gagne peu à peu en profondeur ; elle se rebelle, exige le mariage avant d’accepter de fuir avec Hippolyte, par exemple.
J’avoue toujours un intérêt particulier pour les seconds rôles, les nourrices et les confidentes, ces personnages effacés, toujours dévoués, indulgents, de bon conseil, capables tour à tour de tendresse et de rappel à la dignité, actants de l’ombre, victimes parfois de l’affection qu’ils ou elles portent aux héros qu’ils servent, victimes collatérales toujours et morts sans sépulture souvent. Je n’oublie donc pas Œnone et Théramène.
 
Cette pièce est un approfondissement et un couronnement, une histoire scandaleuse et violente, qui va causer une véritable cabale entre les partisans de Racine et de Corneille et marquer un moment crucial dans la carrière de son auteur. D’abord créée sous le titre Phèdre et Hippolyte, le titre actuel date de 1687.
Dans la préface de Phèdre, Racine exprime la volonté de ne peindre les passions « que pour montrer le désordre dont elles sont causes », présentant son personnage éponyme comme une victime à qui la grâce avait fait défaut. La vertu est mise à l’honneur ; les moindres fautes ou intentions de fautes sont punies… Ainsi, en 1677, Racine se montrait repentant et se réconciliait avec le jansénisme de Port-Royal. La tragédie ne doit pas seulement divertir mais aussi instruire le public.
Sa Phèdre est moins odieuse que dans les œuvres des anciens, plus vertueuse et noble : Racine met, par exemple, la calomnie dans la bouche de la nourrice…
 
J’ai toujours trouvé cette pièce de Racine très accessible avec une exposition sous la forme des deux confessions en parallèle d’amours coupables et le coup de théâtre de la mort de Thésée, puis une montée en puissance d’abord lente avec la confession d’Aricie et l’aveu de Phèdre puis captivante avec le retour inopiné de Thésée, une accélération dramatique avec un affolement généralisé de tous les personnages avant l’inévitable ambiance de jugement du quatrième acte, sous le signe de la fureur et de l’excès. Enfin, le dernier acte est celui des combats, celui jusqu’au-boutiste d’Hyppolite, celui désespéré de Phèdre et celui de Thésée qui, dans l’urgence, ne parvient pas à tout arrêter.
 
Je ne le dirai jamais assez : redécouvrons nos classiques !

Cette lecture valide :

La consigne n°26 du défi Les Déductions élémentaires

A propos du livre :

Résumé : Au tragique psychologique – celui de l’amour – vient se superposer un tragique en quelque sorte moral – celui de la dignité perdue – qui n’apparaît que dans Phèdre. Ici seulement, le personnage se livre à sa passion en la haïssant, continue à combattre contre soi, tout en s’abandonnant à lui-même, pour être vaincu enfin sur les deux plans où se développe cette tragédie singulière : le plan moral et le plan psychologique. Phèdre est un témoin de la liberté. Racine remplit ici la vocation éternelle de la tragédie, qui est d’orchestrer une méditation sur la situation de l’homme. Nouvelle édition en 2015

Pièce de théâtre de 160 pages – se la procurer

Le mot de Sally Rose

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Le Nord du monde de Nathalie Yot

Chronique d’AMR

Le Nord du monde de Nathalie Yot est un roman très court, à peine 145 pages, assez inclassable mais plutôt remarquable dans la forme et dans le fond. Je l’ai dévoré en quelques heures et puis relu, encore et encore…

L’écriture est très belle, rythmée, musicale, toute en respiration… Il ne faut pas hésiter à lire quelques passages à voix haute. C’est poétique, oral, parlant et profond.
Ce roman est une fuite en avant…, un retour à la source aussi.
Ce roman nous parle des limites, celles qui nous sont imposées, celles que l’on se fixe, celles que l’on accepte, celles que l’on repousse, celles que l’on dépasse parce qu’il le faut bien, celles que l’on transgresse aussi…
C’est captivant, animal, sensuel, sexuel, maternel…
La métaphore n’est jamais clairement évidente : Qui est « l’homme-chien » ? Pourquoi « un trot de poulain » et non de cheval ? Comment aime-t-on quand on est mère, enfant ou amante ? Comment reproduit-on l’amour ? Peut-on s’inventer une forme d’aimer autre que celle que l’on a connue ou subie ? 

Le nord du monde est tout cela et plus encore. Et, en même temps, c’est factuel et sans jugement normatif ou moral. Il ne faut surtout pas essayer de raconter ce livre, ni le résumer. Il faut le lire ou passer son chemin.
 Ce n’est pas un coup de cœur, ni une claque littéraire… C’est autre chose, c’est de l’ordre de l’indicible.

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La lettre Y du défi Abécédaire

A propos du livre :

Résumé : Fragilisée et déstabilisée par une séparation amoureuse, la narratrice, et personnage principal, n’a alors d’autre intention que de s’éloigner de sa peine. Aller le plus loin possible et se « blanchir » du passé. Elle choisit le Nord, symboliquement, et se dirige ainsi vers Lille, puis vers l’Allemagne, traverse les Pays-Bas pour enfin arriver dans les fjords, en Norvège. A l’instar d’un road movie, l’enchainement des rencontres et des situations permettra à la narratrice d’être dans l’observation de ses sens, de sa capacité à réagir ou à se laisser entrainer par son tourment. Jusqu’à ce que l’amour maternel surgisse, venu de nulle part, comme par erreur. Une dégradation psychologique et physique s’ensuit, son déséquilibre s’accentue. Une succession fatale d’irresponsabilité et d’effacement des limites la conduit à commettre une faute, si faute il y a.

Roman de 152 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

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Mangoustan de Rocco Giudice

Chronique d’AMR

Drôle de titre ! Le mangoustan est un délicieux fruit exotique à la chair fondante… Est-il bien approprié de donner ce nom à un typhon ? Ni mieux, ni pire que d’attribuer des prénoms à des tempêtes, me direz-vous…
 
Comment un super typhon qui se prépare à balayer Hong Kong peut-il fédérer les destins de trois femmes, venues s’y ressourcer et chercher des réponses face à des moments cruciaux de leur vie ? Elles ne se connaissent pas mais ont en commun un mari ou un ex-mari dominateur et la volonté de s’émanciper…
Les deux premières sont des anonymes, sans doute créées pour les besoins de la fiction : Laure, après trente années de mariage, est abandonnée sans préavis par son mari qui choisit de partir avec leur femme de ménage tandis qu’Irina, une ukrainienne d’origine très modeste, vit de plus en plus mal la manière dont son mari, un banquier suisse, et sa belle-famille lui rappelle sans cesse sa basse extraction.
Mais la troisième est une femme publique : ex-mannequin slovène, la belle Melania à épousé un milliardaire américain devenu président des États-Unis et se retrouve, à son corps défendant, First Lady.
 
Alors, oui, j’avoue que je me suis surtout intéressée au personnage référentiel, découvrant par le biais de la fiction romanesque des aspects de la personnalité de Melania Trump qui me l’ont rendue sympathique.
J’ai découvert une femme dévouée, amoureuse de son mari à la manière d’une vestale antique. Ce dévouement, elle le partage avec Laure, qui a sacrifié sa vie pour le bonheur des siens, s’occupant de son foyer et soutenant sans faillir son mari et ses enfants « pour qu’ils deviennent la meilleure version possible d’eux-mêmes ». Irina aussi a su transmettre à son mari une certaine aptitude à évoluer en société et à enrichir son réseau social : ambitieuse, elle l’a toujours tiré vers le haut.
Là où je considérais Melania comme une potiche sans envergure, je découvre une « madone exemplaire », dans l’ombre de son époux, voulant ce qu’il y a de mieux pour son enfant, vivant son mariage comme un job qui lui garantit par contrat ainsi qu’à sa proche famille une vie fastueuse. Elle apparaît, auréolée d’une aura quasi virginale, sans risque d’être corrompue par son extravagant et gaffeur mari, tout à son opposé, rassurante, digne et raisonnable : « no zob in job ».
Sans doute vais-je désormais regarder d’un peu plus près sa gestuelle et sa garde-robe, à la lumière du langage corporel et vestimentaire développé par Rocco Giudicce, « une tactique de communication » pour en dire beaucoup sans jamais prendre la parole. Les passages où Melania s’oppose à Donald sont particulièrement savoureux…
 
En marge du récit, le parcours d’un météorologue hongkongais, celui-là même qui surveille l’évolution du typhon Mangoustan, ponctue la narration.
Ce livre est profondément ancré et encré géographiquement, avec des titres de chapitres qui sont toujours des noms de lieux, et, métaphoriquement, par le parallèle entre les prises de conscience des trois personnages féminins et la montée en puissance du phénomène météorologique ; en effet, le super typhon débute par le battement d’aile d’un papillon avant de provoquer de véritables catastrophes et, dans la vie des trois femmes, nombreux étaient les signaux avant-coureurs que personne n’avait remarqués.
L’écriture est très efficace, polyphonique, addictive.
 
Ce premier roman est excellent ! Une très belle surprise…

Cette lecture valide :

La consigne n°46 du défi Les Déductions élémentaires

A propos du livre :

Résumé : Avis de gros temps sur Hong Kong. Alors que Mangoustan, le super-typhon le plus puissant jamais observé depuis 1946, s’apprête à balayer la colonie, trois femmes affrontent leur tempête intérieure. Planquée derrière ses lunettes de soleil, Melania dissimule de plus en plus mal le mépris qu’elle ressent pour son butor de mari. Fût-il orange et président des États-Unis. Plaquée sans cérémonie après trente-cinq ans de mariage, Laure traîne son spleen entre Genève et Bali. Femme-trophée pétrie d’ambition, Irina l’Ukrainienne peine à percer le plafond de verre. Trois femmes au bord de la crise conjugale. Trois femmes dans l’œil du cyclone.  » Un roman réjouissant ! Baigné par un humour cocasse et une tendresse émouvante. Quand trois femmes font un délicieux et exquis pied de nez à des hommes égoïstes et égocentriques. Un régal !  » Librairie La Griffe Noire, Saint-Maur des Fossés

Roman de 161 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

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Jackpot à Pau de Bernard Maignent

Chronique d’AMR

Je remercie NetGalley France et les éditions Bookelis pour l’envoi de ce roman policier de Bernard Maignent dont le titre tout en allitération me plaisait bien déjà ne serait-ce qu’à l’oreille…
De plus, Jackpot à Pau se passe au cœur des Montagnes pyrénéennes, dans une belle ville chargée d’histoire.
 
Tout commence par la découverte d’une voiture calcinée, avec deux cadavres à l’intérieur, par un berger de retour de la transhumance avec son troupeau de brebis. L’enquête conjointe de la police et de la gendarmerie va se révéler particulièrement complexe et source de ramifications auxquelles seront mêlés les dealers de drogue locaux, les services municipaux, l’Église… Ainsi que l’annonce la quatrième de couverture, « cette affaire sent le soufre, les euros et les magouilles, jusqu’au cœur du pouvoir ». 
 
Au début, j’ai trouvé les intitulés des chapitres un peu trop méthodiques et « scolaires » : découverte des corps, arrivée des gendarmes, présentation du nouveau commissaire fraichement débarqué et peu familier des lieux et des habitudes locales, la première identification… Je trouvais ces titres redondants et divulgâcheurs de suspense.
En outre, le personnage principal, ce nouveau commissaire muté de Paris à Pau à la suite d’une affaire galante m’agaçait prodigieusement par son côté chaud-lapin, séducteur et par la réputation sulfureuse d’homme aux multiples conquêtes de femmes mariées qui le précédait…
Enfin, j’ai souri jaune devant certaines remarques sur la difficulté de gérer du personnel féminin mises dans l’esprit et la bouche du commissaire…
 
Et puis, je dois avouer que le talent de Bernard Maignent a su m’accrocher à son récit. Le côté scolaire est devenu didactique et j’ai apprécié les descriptions de la ville de Pau, les détails techniques de la collaboration entre les différents services de police et de gendarmerie…
L’enquête est menée dans un subtil mélange d’actions et de travaux de fourmis besogneuses et rend hommage à différentes approches et à des savoir-faire complémentaires. Les interrogatoires des suspects sont réalistes et très bien théâtralisés.
La mise en scène et en situation, dans les méandres de l’intrigue, de François Bayrou, un maire de Pau de renommée nationale, qui s’immisce dans les investigations de la police et de la gendarmerie, donne une certaine notoriété au récit, l’ancre et l’encre dans une certaine réalité. Ce personnage référentiel est ici un modèle d’intégrité, de dignité et de transparence, abordant ses missions de premier magistrat de la ville comme un sacerdoce, attitude remarquable alors que, paradoxalement, les gens d’église bottent en touche et réagissent avec hypocrisie. Même si Bernard Maignent se moque gentiment de l’homme politique, amoureux de sa ville, et de ses monologues lyriques, on sent un profond respect de l’auteur pour le maire de Pau. Par contre, Emmanuel Macron est légèrement moqué dans une scène coquine particulièrement savoureuse.
 
Au fur et à mesure de mon avancée dans cette lecture, de plus en plus captivante, même si je trouvais le commissaire toujours un peu trop entreprenant avec ses collègues féminines, j’appréciais ses efforts pour améliorer l’efficacité et les conditions de travail de ses collaborateurs, sa volonté de décloisonner les équipes et de valoriser les initiatives ; en effet, il repère vite les qualités et les défauts de chacun(e)s. Son professionnalisme est exemplaire et met ses défauts en sourdine. Ainsi, par exemple, il n’abuse pas du tutoiement pour s’adresser aux jeunes des cités, traite les prélats comme des hommes ordinaires, garde son indépendance vis à vis des enjeux de pouvoir…
J’avais toujours à l’esprit un effet d’annonce au quatrième chapitre prédisant que cette première enquête à Pau marquerait un grand bouleversement dans sa vie ; mais ce n’est que dans le dernier tiers du roman qu’un air de romance viendra nuancer la tension et le suspense. Toujours est-il que ce personnage va évoluer, se montrer parfois ridicule ou fragile, émouvant même ; ses déboires de cycliste sont hilarants…
 
Le « jackpot » du titre laissait présager une belle combinaison de figures en vue d’un gros profit… Pari réussi pour Bernard Maignent ! Le cocktail trafic de drogue, mairie, église est détonnant…

Cette lecture valide :

La consigne n°32 du défi Les Déductions élémentaires

A propos du livre :

Résumé : Au retour de sa transhumance, un berger découvre une voiture calcinée avec deux corps à l’intérieur. Affaire de drogue ? Règlement de compte ? De l’inattendu au cœur des montagnes pyrénéennes !
De quoi motiver le commissaire Laffitte, fraîchement débarqué à Pau et pas encore affranchi des coutumes locales. Comme l’idée que le maire de la ville, un certain François Bayrou, veuille mettre son grain de sel dans son enquête.
Tension, suspense et même romance hors des sentiers battus, cette affaire sent le soufre, les euros et les magouilles… jusqu’au cœur du pouvoir.
Bernard Maignent signe ici son second ouvrage après Meurtre à la grenouille, paru chez Libréditions en 2018.

Roman de 287 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

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Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig

Chronique d’AMR

Je redécouvre Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig à la faveur d’une belle initiative d’Audiolib qui propose ce livre en audio-lecture gratuite, l’occasion pour moi d’écouter ce texte dit par Édouard Baer qui lui donne une belle dimension et ressortir le livre des rayonnages de ma bibliothèque où il figure depuis une trentaine d’années.
 
J’ai lu ce livre il y donc très longtemps, à une époque où je jouais aux échecs en club, joueuse « de troisième classe » qui se défendait tout de même plutôt pas mal, dans un milieu très masculin et un rien misogyne. Lire des manuels et des romans sur cette discipline coulait de source et ce texte de Stefan Zweig m’avait littéralement fascinée.
C’est le dernier écrit de cet auteur et l’inspiration en est très personnelle puisqu’il s’amusait lui-même à rejouer quotidiennement les parties répertoriées dans un manuel sur le jeu. Le Joueur d’échecs a été publié à titre posthume, quelques mois après le suicide de Stefan Zweig et de son épouse, ébranlés par la victoire du fascisme
 
Ce court roman, plutôt une nouvelle, brosse les portraits de deux personnages que tout oppose et que seul le jeu d’échecs peut brièvement réunir. Mirko Czentovic est un champion du monde, particulièrement antipathique, même si son parcours est exemplaire tandis que Monsieur B. un exilé autrichien, ancien avocat, est encore sous le coup d’une terrible expérience d’isolement vécue après son arrestation par la Gestapo.
À leur manière, les deux hommes sont monomaniaques et schizophrènes, tant cette discipline devient complexe à haut niveau. Pourtant, seul Monsieur B. mérite ici le rôle-titre et l’appellation de « joueur d’échecs » tandis que le champion en titre perd de sa superbe. Czentovik est décrit comme très limité intellectuellement, incapable de visualiser l’échiquier et les pièces et de jouer en aveugle, tandis que Monsieur B. a acquis une telle vision globale et intériorisée du jeu qu’il n’a même pas besoin de se représenter les pièces et les cases.
L’ambiance devient manichéenne. Le bon et le méchant ont chacun leurs secrets, révélés dans deux récits enchâssés et partagent la passion pour les échecs : pour le premier, cette passion s’apparente à la folie, pour le second, c’est une activité lucrative.
Le narrateur, qui s’exprime à la première personne et prête sans doute son JE à Stefan Zweig lui-même, s’interroge sur la complexité de l’activité mentale des grands joueurs, capables de mémoriser et de maîtriser les combinaisons des 32 pièces sur les 64 cases de l’échiquier. La pratique de ce jeu devient salvatrice puisque qu’elle a sorti Czentovik de la misère et qu’elle a permis à Monsieur B. de survivre à l’isolement : elle peut aussi se révéler dangereuse si poussée à l’extrême.
Le fait que l’action ait lieu sur un paquebot donne une dimension universelle et intemporelle à l’action.
 
Encore aujourd’hui, cette lecture me parle et me transporte. Je sais combien la pratique des échecs est exigeante et difficile et que cette passion peut être dévorante.
Ici, Stefan Zweig en propose une magistrale interprétation psychologique.

Cette lecture valide :

La consigne n°52 du défi Les Déductions élémentaires

A propos du livre :

Résumé : Qui est cet inconnu capable d’en remontrer au grand Czentovic, le champion mondial des échecs, véritable prodige aussi fruste qu’antipathique ? Peut-on croire, comme il l’affirme, qu’il n’a pas joué depuis plus de vingt ans ? Voilà un mystère que les passagers oisifs de ce paquebot de luxe aimeraient bien percer. Le narrateur y parviendra. Les circonstances dans lesquelles l’inconnu a acquis cette science sont terribles. Elles nous reportent aux expérimentations nazies sur les effets de l’isolement absolu, lorsque, aux frontières de la folie, entre deux interrogatoires, le cerveau humain parvient à déployer ses facultés les plus étranges. Une fable inquiétante, fantastique, qui, comme le dit le personnage avec une ironie douloureuse, « pourrait servir d’illustration à la charmante époque où nous vivons ».   Traduction, préface et commentaires par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent.

Roman de 123 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

Merci beaucoup pour ce partage AMR. Un chef d’œuvre à mon sens ❤❤

Un Petit Coup de jeune de Thierry Bizot

Chronique d’AMR

Ce titre à la formulation familière évoque une action brusque et soudaine mais sans grande importance ou alors, il y a une volonté manifeste de minimiser les choses. L’expression « petit coup de jeune » évoque une rénovation, un renouvellement et véhicule une image positive. Sous ce titre, Thierry Bizot va nous raconter une histoire d’amnésie, de temps passé trop vite, de culpabilité…
À la suite d’un accident de voiture, un homme se réveille à l’hôpital, souffrant d’une amnésie peu commune qui a gommé seize ans de sa vie ; il a toujours 35 ans dans sa tête, mais plus de cinquante en réalité… Il va découvrir avec stupeur que son adorable petit garçon est devenu un jeune homme de vingt-trois ans avec qui il n’a plus rien à partager, que pendant les années qui se sont effacées de sa mémoire il a quitté sa femme pour une autre, que son père est mort en lui laissant un drôle de secret, que sa carrière à la télévision a pris un tour spectaculaire et que le monde a bien changé depuis l’attentat de New-York en 2001.
 
Au début, j’ai eu un peu de mal à cerner le personnage principal de ce livre ; je ne comprenais pas, par exemple, pourquoi il était toujours appelé par son nom de famille alors que les autres personnages sont désignés par leur prénom. Ce détail mettait en place une distance et des barrières invisibles qui me pesaient.
Le roman commence par le récit de la vie banale et ordinaire d’un chroniqueur culturel. Puis la problématique particulière de ce livre se met en place au réveil d’Éric, quand il n’est plus désigné que par son patronyme, Sadge. L’auteur nous propose de le regarder se confronter aux décisions qu’il a prises et à ses agissements passés en ayant seulement à l’esprit leur côté factuel et acté, sans en connaître les motivations ; le héros devient spectateur et juge de sa vie passée, du moins pour les seize années manquantes.
Peu à peu, le récit se transforme en thriller psychologique : Satge s’est peut-être bien rendu coupable de faits et gestes très graves dont il supporte les conséquences sans les avoir encore commis : ses remords et sa culpabilité sont sincères mais incomplets. Il y même une dimension mystique : l’amnésie de Sadge ne serait-elle pas une expiation, une souffrance nécessaire voulu par Dieu en lieu et place d’une condamnation officielle ? Seize ans d’oubli, est-ce cher payé ?
Le personnage de Sadge gagne alors en profondeur, se montrant plus ouvert aux autres et meilleur dans son travail car la culpabilité le fait grandir et progresser.
 
J’ai beaucoup apprécié la peinture des mœurs dans le milieu de l’audiovisuel, souri souvent en reconnaissant des personnages référentiels connus et trouvé très justes les protagonistes manifestement inspirés de journalistes, chroniqueurs et présentateurs dont on peut reconnaître aux passages quelques travers ou manies : ainsi, Satge possède d’innombrables paires de baskets qu’il porte avec ses costumes.
Thierry Bizot pose également un regard plein de finesse sur les évolutions de notre monde en une quinzaine d’années, depuis les attentats de septembre 2001 aux États-Unis. Son héros est confronté aux avancées numériques, à l’omniprésence des téléphones portables, au passage à l’Euro, aux attentats en cascade, à l’insécurité généralisée, à la mort de David Bowie, à une baisse notable du niveau culturel… J’ai adoré ses réflexions sur les réseaux sociaux ou sur la cigarette électronique !
Et puis, il y a ce regard émouvant et drôle sur le temps qui passe, notamment au sein du couple, quand le désir se tarit et devient tendresse et routine.
 
Thierry Bizot parle ici d’un milieu qu’il connaît bien puisqu’il est aussi producteur de télévision. Son récit sonne juste et vrai et pousse à la réflexion.
Une excellente surprise !

Cette lecture valide :

La consigne n°5 du défi Les Expressions gourmandes

A propos du livre :

Résumé : Éric Sadge se réveille un jour dans un lit d’hôpital, après un léger accident de voiture dont il ne se souvient pas. Un médecin lui annonce qu’il n’a pas trente-cinq ans comme il semble le penser, mais cinquante et un ans, et que nous sommes en 2017, pas du tout en 2001… Éric Sadge apprend alors qu’il souffre d’une amnésie qui lui a fait oublier les seize dernières années de sa vie. Il va découvrir avec stupeur que son fils est devenu un jeune homme de vingt-trois ans, que pendant ces seize années qui se sont effacées de sa mémoire il a quitté sa femme pour une autre, que son père est mort en lui laissant un drôle de secret, et que sa carrière a pris un tour spectaculaire… Outre tous les changements les plus récents de notre époque qui l’étonnent et le laissent désemparé, Éric Sadge va s’apercevoir qu’il n’est pas l’homme qu’il croyait être : derrière le personnage bien sous tous rapports se cache peut-être un meurtrier… Thierry Bizot est producteur de télévision. On lui doit notamment la série Fais pas ci, fais pas ça. Il a publié sept romans au Seuil, dont Catholique anonyme, qui a connu un grand succès.

Roman de 416 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

Merci beaucoup pour ce partage AMR. À découvrir 🤗

Une Silhouette au crépuscule de Valérie Gustave

Chronique de AMR

Dès que j’ai su que mon amie Valérie Gustave avait publié un livre, j’ai naturellement eu envie de le découvrir, attendant cependant la sortie de la version « papier » car je voulais une dédicace…
Une silhouette au crépuscule a doublé toute la file de livres de ma Pile À Lire, tant j’étais impatiente de le lire…
 
Impatiente, certes, mais j’avoue aussi une petite appréhension… Le titre me faisait penser à une romance et ce n’est pas trop ma tasse de thé ; le format plutôt court m’interrogeait sur la qualification de roman… Un récit à la première personne me faisait craindre un désir de catharsis…
 
Alors, oui, Valérie Gustave a créé un personnage féminin qui lui ressemble un peu, professeure de lettres dans un collège, sportive, dynamique, droite dans ses bottes…
Oui, le récit se passe à Castres, dans le Tarn, une petite ville qu’elle connaît bien, et moi aussi. Quel plaisir de lire ses mots qui me font redécouvrir des lieux familiers par le prisme de son regard aiguisé !
Pour ce que je connais de l’auteure, la part d’inspiration personnelle s’arrête là. En fait Valérie Gustave nous entraine à la suite de sa sympathique héroïne dans une enquête où le surnaturel aura une place de choix.
 
Valérie le sait, j’ai horreur des chroniques qui résument les livres ou, pire encore, qui divulgâchent… Je vais rester dans les limites de mon ressenti.
Combien de fois me suis-je perdue dans la contemplation d’un tableau au point de m’imaginer entrant dans la toile pour visiter des ailleurs fantasmés ? Combien de fois ai-je remarqué, dans les rues ou au gré de mes promenades, des gens ou des détails que personne d’autre n’avait remarqués ? Cette histoire m’a à la fois touchée et intriguée.
J’aime qu’un livre soit documenté, sentir que l’auteure sait de quoi elle parle ; je suis très sensible à l’intertextualité… Cette histoire donnera peut-être envie à ses lecteurs de découvrir la belle ville de Castres. Quant aux références, citées ou suggérées, disons qu’elles sont particulièrement parlantes : Joseph Denize et son tableau aux pouvoirs terrifiants, Théophile Gauthier et sa cafetière, Julien Lebourg et la malédiction de l’aquarelle ou encore Nicolas Gogol et Oscar Wilde pour des portraits surnaturels.
J’ai adhéré au pacte de lecture, suivi l’enquête de l’héroïne et ses rencontres avec d’étranges personnages : une inquiétante bibliothécaire, une archiviste polydactyle, un gardien de musée reconverti en agent d’entretien aux allures de Quasimodo, une femme sans domicile fixe dont la silhouette hante le récit…
J’adore quand un livre décrit des ambiances, des sensations… Ici, il y a des couleurs, des symboliques, des correspondances, des fils surnaturels qui enchantent le réel.
Et puis, c’est très bien écrit, fluide, sans lourdeur. Valérie Gustave a choisi une temporalité de tenue de journal : à chaque date, son lot de péripéties. Cette datation donne un sentiment d’urgence mais ancre le récit dans une forme de réalité.
 
Mais, car j’émets un petit bémol…
Tel que ce récit est construit, avec une brève unité de temps (à peine moins de deux mois), une unité de lieu (la ville de Castres), une certaine économie de personnages et une chute brutale, cette histoire, présentée comme un roman sur la quatrième de couverture, n’en est pas un. Pour moi, c’est une nouvelle, particulièrement réussie, certes, mais une simple nouvelle.
Pourtant, tous les ingrédients sont réunis pour en tirer un roman. Personnellement, je suis un peu restée sur ma faim ; j’aurais voulu que certains aspects soient davantage fouillés. Par exemple, dans les légendes anciennes ou dans la Bible, la polydactylie représente la manifestation du mal et le rôle et les motivations de l’archiviste mériterait que l’on creuse un peu. L’apparente cécité de la dame en mauve est évoquée, puis laissée en suspens, alors qu’elle suggère tout un monde intérieur surnaturel.
Si les ombres de Lovecraft ou de Stephen King planent bien sur ce récit, Une Silhouette au crépuscule mériterait de plus amples développements.
 
En conclusion, si Une silhouette au crépuscule est une nouvelle, elle est excellente… En tant que roman, c’est encore une ébauche.
Ainsi, je souhaite qu’une maison d’édition repère ce court récit, en voit le potentiel et…





Cette lecture valide :

La consigne n°59 du défi Les Déductions élémentaires

A propos du livre :

Résumé : L’été, dans le Tarn. Elisa s’étonne de voir une femme à l’allure distinguée vivre dans la rue. Elle va mener une enquête pour comprendre ce qui a bien pu lui arriver, et trouver l’origine de cette déchéance sociale qui l’indigne profondément. Ses recherches vont l’amener alors dans un univers surprenant dans lequel peinture et sorcellerie vont être étroitement mêlées. L’esprit cartésien d’Elisa va être totalement bouleversé.

Roman de 106 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

Merci beaucoup pour ce partage AMR. J’en profite pour le remettre sur le haut de ma PAL 😉

Un secret de Philippe Grimbert

Chronique de AMR

Un grand merci à Audiolib qui propose cette audio lecture gratuite en ces temps de confinement à cause de l’épidémie de covid-19…
J’avais entendu parler de ce roman de Philippe Grimbert, sobrement intitulé Un Secret, sur le thème de l’holocauste et des non-dits familiaux.
 
Au début, j’ai eu un peu de mal à entrer dans cette histoire. Pourtant la posture de l’enfant unique qui s’invente un grand-frère idéal devant celles et ceux qui ne sont pas assez proches pour vérifier son existence me touchait et m’émouvait, me rappelant mes propres rêves éveillés de fillette solitaire. En fait, je ne parvenais pas à cerner ce personnage, ses motivations, son besoin de mise en mots car, dans les premiers chapitres, il révèle un égocentrisme presque malsain et pathétique.
Et puis, je me suis raccrochée à mon intérêt pour la confrontation de la sphère privée et de l’Histoire, pour les points de vue individuels et intimes sur les grands bouleversements référentiels. Là, j’étais plus à mon aise et le personnage narrateur évoluait à la manière d’un jeu de piste, passant d’un niveau de compréhension à un autre, et l’accompagner s’avérait s’approprier de mieux en mieux son parcours vers la vérité et l’acceptation.
 
Le récit est à la première personne. Le narrateur n’est autre que l’auteur lui-même qui livre un témoignage poignant et sincère sur son histoire familiale. Il met un accent très humain sur les évènements décrits à l’échelle familiale… Eh oui, les juifs déportés avaient des vies de famille, des rapports de couples, des ambitions, des désirs… ; ces hommes et ces femmes avaient eu une vie avant d’être réduits à des ombres humaines, des corps nus jeté dans des charniers… ; ils et elles étaient des enfants, des adolescents, des jeunes gens, des parents, des aïeux, des fils et des filles, des frères et des sœurs, des oncles et des tantes, des gendres et des belles-filles, des beaux-frères et belles-sœurs, des ami(e)s… Ils avaient tous une histoire personnelle, des choses à transmettre ou à cacher.
Philippe Grimbert est psychanalyste ; il sait démêler les écheveaux familiaux, les héritages lourds à porter et leurs conséquences sur les générations suivantes et à venir. Son témoignage est lucide, tragique mais aussi porteur de résilience. À sa manière, il nous parle du complexe des survivants, quand ils dissimulent volontairement un passé traumatisant. Il est permis de se demander comment aurait réagi une personne qui n’aurait pas l’expérience de thérapeute de l’auteur : sa famille lui a dissimulé le premier mariage de son père, un demi-frère déporté et son identité juive. Même son nom d’origine, Grynberg, est devenu, peu après la guerre, Grimbert sans qu’on ne l’en ait jamais informé… Comment se construire dans ces conditions ?
 
L’écriture est efficace, sobre, à la fois impliquée par l’emploi de la première personne, et distanciée par un style volontairement inquisiteur pour mettre en scène des héros ordinaires et une recherche identitaire. Le titre de ce livre évoque de manière indéfinie un secret de famille pourtant bien identifié… C’est le secret de la famille Grimbert mais il prend des proportions à la fois considérables et incomplètes tant il est difficile à énoncer et à délimiter.
En même temps, j’imagine qu’il fallait s’affranchir de l’émotion pour rendre compte de cette expérience trop personnelle, donner vie au demi-frère fantôme, réel bien que fantasmé, remettre en perspective l’histoire familiale, les mariages et remariages, et, quelque part aussi, toucher à l’image paternelle et maternelle idéalisée.
 
Une audio lecture intéressante, difficile parfois. Le texte est lu par l’auteur, plutôt bien… Mais j’ai dû parfois revenir en arrière car la voix de Philippe Grimbert m’avait perdue en route.
Un secret est un témoignage à lire aussi entre les lignes, car ce livre à la problématique universelle est aussi un héritage personnel transmis par l’auteur aux siens et, à ce titre, il est digne du plus profond respect.





Cette lecture valide :

La consigne n°7 du défi Les Expressions gourmandes

A propos du livre :

Résumé : Souvent les enfants s’inventent une famille, une autre origine, d’autres parents. Le narrateur de ce livre, lui, s’est inventé un frère. Un frère aîné, plus beau, plus fort, qu’il évoque devant les copains de vacances, les étrangers, ceux qui ne vérifieront pas… Et puis un jour, il découvre la vérité, impressionnante, terrifiante presque. Et c’est alors toute une histoire familiale, lourde, complexe, qu’il lui incombe de reconstituer. Une histoire tragique qui le ramène aux temps de l’Holocauste, et des millions de disparus sur qui s’est abattue une chape de silence. Psychanalyste, Philippe Grimbert est venu au roman avec La Petite Robe de Paul . Avec ce nouveau livre, couronné en 2004 par le prix Goncourt des lycéens et en 2005 par le Grand Prix littéraire des lectrices de Elle , il démontre avec autant de rigueur que d’émotion combien les puissances du roman peuvent aller loin dans l’exploration des secrets à l’œuvre dans nos vies.

Roman de 192 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

Merci beaucoup pour ce partage AMR. Un roman lu il y a bien longtemps et qui m’a marquée à jamais 😢