Chronique d’AMR

C’est à la faveur d’un podcast France Culture que je redécouvre Phèdre de Racine, pièce étudiée au collège, à une époque où l’on apprenait par cœur les tirades et monologues les plus significatifs que l’on commentait également en détail, puis relue souvent depuis car j’avoue une sensibilité particulière pour l’alexandrin tragique.
En effet, le partenariat qui lie France Culture et la Comédie-Française a permis d’enregistrer de nombreuses pièces du répertoire du théâtre classique et ainsi de constituer une mémoire radiophonique de notre patrimoine théâtral.
À l’issue de cette écoute, j’ai repris ma vieille édition des classiques illustrés Hachette et retrouvé avec bonheur les passages connus, jamais vraiment oubliés.
Le propos de la tragédie, d’inspiration antique prise chez Euripide, Sénèque, Ovide et Plutarque, en quelques mots…
Seconde femme de Thésée, Phèdre, jeune encore, brule d’une passion secrète et coupable pour son beau-fils Hippolyte, cherche par tous les moyens à l’éloigner d’elle et songe même au suicide. Son beau-fils, qu’elle adule et rejette à la fois, a l’intention de quitter Trézène pour partir à la recherche de son père disparu pendant la guerre de Troie et que tout le monde tient pour mort, fuyant aussi par là son propre amour pour Aricie, princesse déchue et sœur des Pallantides, clan ennemi.
La mort que Phèdre implore pour expurger son crime sera retardée par la nécessité successorale puis par l’annonce du retour inespéré de Thésée. Entretemps, Phèdre a avoué ses sentiments à Hippolyte et ce dernier l’a repoussée avec horreur et dégout. La suivante de Phèdre distille la calomnie et, maudissant son fils qui l’aurait outragé, Thésée appelle sur sa tête la vengeance des dieux, apprenant trop tard son innocence, de la bouche même de Phèdre qui meurt à ses pieds.
C’est au tour de Thésée d’expier ses erreurs, rendant les honneurs funèbres à Hippolyte et adoptant Aricie.
J’ai toujours été très touchée par la bouleversante humanité de Phèdre, à la fois victime et coupable, marquée d’une terrible hérédité car « fille de Minos et de Pasiphaé » (mère du Minautore), névrosée, hystérique, jalouse, mais capable aussi de tendresse, ambivalente toujours. Sa passion pour Hippolyte n’a d’incestueuse que le nom car, à Athènes, une veuve pouvait épouser le fils de son mari ; Racine met ici en avant un droit canonique, un inceste contre nature, d’ordre social, qui pousse une femme mûre vers un jeune homme qui pourrait être son fils.
J’ai beaucoup moins d’affinités avec Hippolyte, trop sûr de lui au début de la pièce, puis beaucoup trop naïf par la suite… Il critique les amours de son père tout en se vouant lui-même à une passion que les convenances lui interdisent. Ses qualités de courage, de grandeur d’âme et de sang-froid sont cependant mises en lumière dans sa mort spectaculaire et dramatique.
Thésée est à la fois un héros guerrier, un père et un époux… Au début, il brille par son absence et n’apparaît que dans les ressentis des autres personnages vis-à-vis de lui. Son retour est une sorte de résurrection. Cependant, son personnage manque de discernement tant il se laisse facilement manipuler par Œnone ; il devient pitoyable quand il réalise ses erreurs.
Aricie est charmante et aimable, timide et romanesque… Malgré tout, son personnage gagne peu à peu en profondeur ; elle se rebelle, exige le mariage avant d’accepter de fuir avec Hippolyte, par exemple.
J’avoue toujours un intérêt particulier pour les seconds rôles, les nourrices et les confidentes, ces personnages effacés, toujours dévoués, indulgents, de bon conseil, capables tour à tour de tendresse et de rappel à la dignité, actants de l’ombre, victimes parfois de l’affection qu’ils ou elles portent aux héros qu’ils servent, victimes collatérales toujours et morts sans sépulture souvent. Je n’oublie donc pas Œnone et Théramène.
Cette pièce est un approfondissement et un couronnement, une histoire scandaleuse et violente, qui va causer une véritable cabale entre les partisans de Racine et de Corneille et marquer un moment crucial dans la carrière de son auteur. D’abord créée sous le titre Phèdre et Hippolyte, le titre actuel date de 1687.
Dans la préface de Phèdre, Racine exprime la volonté de ne peindre les passions « que pour montrer le désordre dont elles sont causes », présentant son personnage éponyme comme une victime à qui la grâce avait fait défaut. La vertu est mise à l’honneur ; les moindres fautes ou intentions de fautes sont punies… Ainsi, en 1677, Racine se montrait repentant et se réconciliait avec le jansénisme de Port-Royal. La tragédie ne doit pas seulement divertir mais aussi instruire le public.
Sa Phèdre est moins odieuse que dans les œuvres des anciens, plus vertueuse et noble : Racine met, par exemple, la calomnie dans la bouche de la nourrice…
J’ai toujours trouvé cette pièce de Racine très accessible avec une exposition sous la forme des deux confessions en parallèle d’amours coupables et le coup de théâtre de la mort de Thésée, puis une montée en puissance d’abord lente avec la confession d’Aricie et l’aveu de Phèdre puis captivante avec le retour inopiné de Thésée, une accélération dramatique avec un affolement généralisé de tous les personnages avant l’inévitable ambiance de jugement du quatrième acte, sous le signe de la fureur et de l’excès. Enfin, le dernier acte est celui des combats, celui jusqu’au-boutiste d’Hyppolite, celui désespéré de Phèdre et celui de Thésée qui, dans l’urgence, ne parvient pas à tout arrêter.
Je ne le dirai jamais assez : redécouvrons nos classiques !
Cette lecture valide :
La consigne n°26 du défi Les Déductions élémentaires
A propos du livre :
Résumé : Au tragique psychologique – celui de l’amour – vient se superposer un tragique en quelque sorte moral – celui de la dignité perdue – qui n’apparaît que dans Phèdre. Ici seulement, le personnage se livre à sa passion en la haïssant, continue à combattre contre soi, tout en s’abandonnant à lui-même, pour être vaincu enfin sur les deux plans où se développe cette tragédie singulière : le plan moral et le plan psychologique. Phèdre est un témoin de la liberté. Racine remplit ici la vocation éternelle de la tragédie, qui est d’orchestrer une méditation sur la situation de l’homme. Nouvelle édition en 2015
Pièce de théâtre de 160 pages – se la procurer
Le mot de Sally Rose
Merci beaucoup pour ce partage AMR. Ah ! La tragédie 😎