JEUX LIT AVEC SALLY : Ce que j’appelle oubli de Laurent Mauvignier

C’était une des lectures communes du mois d’août

Nous étions deux lectrices à partager nos impressions

Quand il est entré dans le supermarché, il s’est dirigé vers les bières. Il a ouvert une canette et l’a bue. À quoi a-t-il pensé en étanchant sa soif, à qui, je ne le sais pas. Ce dont je suis certain, en revanche, c’est qu’entre le moment de son arrivée et celui où les vigiles l’ont arrêté, personne n’aurait imaginé qu’il n’en sortirait pas. Cette fiction est librement inspirée d’un fait divers, survenu à Lyon, en décembre 2009.

Roman de 64 pagesSe le procurer

Chronique de Maggy

On l’imagine assis sur un casier vide au fond d’une cave ou marchant de long en large dans quelques mètres carrés. Peut-être tire-t-il convulsivement sur une cigarette, peut-être est-il avec un portable à l’oreille… En tout cas, il est abasourdi, il est révolté, il est en colère; il est triste aussi, sans doute. Et il parle, il parle, il parle… il ne peut plus s’arrêter. Il raconte ce que la caméra a capté, il imagine ce qui est passé par la tête de cet homme au moment où les coups pleuvaient, ce jeune homme mort pour avoir bu une bière sans être passé par la caisse, il envisage la réaction des parents atterrés… Et toujours il s’exprime, les mots semblent doués de vie, ils sortent de lui avant même qu’il ait pu construire des phrases, une logorrhée sans fin… Elle n’avait d’ailleurs pas de début cette incontinence verbale. le lecteur l’a choppé au milieu d’une phrase qui n’est toujours pas terminée 60 pages plus tard.

Un texte fort, qui se lit d’une traite, sans pause, sans respiration. Un tour de force de la part de l’auteur qui n’a pas voulu que le monde oublie qu’on peut mourir pour une bière, au 21e siècle, en France.
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Chronique de Sally Rose

J’ai découvert ce texte à la faveur de la représentation donnée à la Comédie française par Denis Podalydès. Une mise en scène sobre qui déploie toute l’intensité du propos.
Ce texte d’une soixantaine de pages n’est qu’une longue phrase dont le début et la fin ne sont pas notés, une grande respiration qui raconte comment un homme qui a volé et consommé une canette de bière dans un supermarché, a été battu à mort par les vigiles de la sécurité.
Chaque ressenti est décomposé, ceux de l’homme qui reçoit les coups, ceux des hommes qui les donnent. Les pensées sont séquencées, contextualisées, comme un ralenti d’une violence inouïe.
La construction de ce récit adapté d’un fait divers plonge le lecteur en apnée, l’empêchant de reprendre sa respiration, le faisant vibrer de tout son être.
Prévoir une bonne heure pour la lecture, elle ne peut se faire que d’une traite.

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Est-Ce Ainsi Que Les Femmes Meurent ? de Didier Decoin

Chronique de Amélie

L’auteur se penche sur un fait divers bien réel.
New York, 1964, un effroyable féminicide vient ébranler un quartier paisible en pleine nuit. Pas moins de 38 témoignages permettent à la police d’appréhender rapidement le coupable. Qu’ont fait ces 38 témoins, chacun dans la chaleur de son foyer tandis que 30 minutes durant Kitty endurait le pire sous leurs yeux? C’est la question qui nous hante en tant que lecteur, tout comme le narrateur et sa femme, voisins de Kitty mais absents cette nuit-là. Pourtant plus le livre avance et moins nous avons de réponse.
D’interrogation psycho-sociologique nous basculons dans la chronique judiciaire et la non-assistance à personne en danger n’étant pas condamnable aux États Unis, c’est sur le meurtrier, sa psychologie et des détails sordides que la loupe est braquée. Seul l’épilogue aux références intéressantes offrira un début de réponse, je pense que le reste proviendra pour chacun d’une honnête introspection sur sa capacité à prendre des initiatives au sein d’un groupe par exemple.
C’est un livre fort et marquant, lu d’une traite, mais je reste un peu sur ma faim quand à l’angle choisi.

Cette lecture valide :

A propos du livre :

Résumé : Catherine Kitty Genovese n’aurait pas dû sortir seule ce soir de mars 1964 du bar où elle travaillait, une nuit de grand froid, dans le Queens, à New York. Sa mort a été signalée par un entrefilet dans le journal du lendemain : « Une habitante du quartier meurt poignardée devant chez elle. » On arrête peu de temps après le meurtrier, monstre froid et père de famille. Rien de plus. Une fin anonyme pour cette jeune femme drôle et jolie. Mais sait-on que le martyre de Kitty Genovese a duré plus d’une demi-heure, et surtout que trente-huit témoins, bien au chaud derrière leurs fenêtres, ont vu ou entendu la mise à mort ? Aucun n’est intervenu. Qui est le plus coupable ? Le criminel ou l’indifférent ? Récit saisissant de réalisme et réflexion sur la lâcheté humaine, le roman de Didier Decoin se lit dans un frisson. Un roman dur et poignant, plein de doutes et d’humanité. Le Monde.

Récit de 192 pages – se le procurer

Le mot de Sally Rose

Merci beaucoup pour ce partage Amélie. Un fait divers qui en dit long sur l’absence de solidarité. Ceci dit, qu’aurions-nous fait à leur place ? 🤔