C’était une des lectures communes du mois de janvier
Nous étions trois lectrices à partager nos impressions

Robbie Whitcomb, 5 ans, est enlevé sous les yeux de sa mère. Commencent sept années d’horreur pour le petit garçon, rebaptisé Gideon par son ravisseur, Daddy Love. Celui-ci n’est autre que Chet Cash, pasteur itinérant, populaire et séducteur, vendeur d’objets en macramé fabriqués par sa victime. Après l’arrestation, Robbie retrouve sa famille mais le retour à la normalité n’est qu’apparence. Née en 1938, Joyce Carol Oates est une nouvelliste et romancière prolifique, récompensée par de nombreux prix littéraires. La plupart de ses livres sont disponibles en Points. « L’auteur de Mudwoman n’a pas fini de remuer les boues de l’Amérique, pour mieux réveiller les consciences et ranimer la flamme d’une humanité consumée. » Les Échos Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban
Roman de 288 pages – Se le procurer
Chronique de Kadeline
Quand Robbie, 5 ans, se fait kidnapper sur un parking, c’est le début de 6 ans d’horreur pour Robbie et pour ses parents mais est-il possible de se remettre d’une telle épreuve ? Le point fort de ce roman est la précision de la psychologie des personnages. Tout est là.
La mère se débat avec sa culpabilité de ne pas avoir protéger son enfant, de lui avoir lâché la main. Le père se sent impuissant et ne sait comment avancer malgré cette perte. Robbie, la petite victime subit un conditionnement mental qui rend « normal » les violences sexuelles, physiques et psychologiques, et crée une forme d’attachement envers son ravisseur et bourreau. Et puis il y a Daddy love, le monstre répugnant, mais un monstre particulièrement doué pour se rendre invisible ou sociable en fonction du besoin. C’est la personne passe-partout, celle qu’on ne soupçonnerait jamais, qui est appréciée et qui par conséquent échappe à la justice et peut plonger dans les pires vices.
Tous les personnages sont passés au microscope, leurs émotions, leur vision de la vie, la façon dont ils sont perçus. C’est puissant et l’environnement de vie n’est pas négligé, il est traité avec autant de minutie. On sent l’ambiance du village, du barbecue, de l’école… On est témoin de l’impression faite par ce bourreau qui semble si méritant, si impliqué et aimant. Avec cette narration, l’autrice dénonce l’intérêt de façade et l’importance du puritanisme qui met des oeillères sur la vision du monde, un croyant ne peut qu’être une personne bien.
Tout ça est renforcé par l’intime conviction du bourreau de faire le bien, de sauver les enfants de parents qui ne sont pas « fiables ». Le résultat est très oppressant. L’horreur est décrite sans tomber dans le gore. On n’est pas dans une sorte de voyeurisme de l’horreur où la moindre scène de torture va être décrite, ici tout se fait en finesse, sans rien minimiser. Tout est là au moins suggéré et ça rend le roman encore plus puissant.
Le thème de ce roman est ignoble donc autant choisir de l’aborder dans un texte qui associe justesse, finesse et une plume magnifique ce qui est le cas ici.
Chronique de Laehb
Un roman bouleversant. Je découvre la plume de Joyce Carol Oates aujourd’hui et je suis bluffée. En moins de 300 pages, l’autrice réussit à créer une ambiance tellement pesante et révoltante, nous transmettre une intensité et densité de douleur déchirante. Depuis que je suis maman il m’est très difficile de lire des romans avec disparition et sévices sur enfant. J’ai été évidemment horriblement touchée par ce récit mais ravie de cette découverte.
Chronique de Sally Rose
Robbie a 5 ans. Il est arraché à sa mère sur un parking de centre commercial. Le ravisseur gardera l’enfant auprès de lui pendant plusieurs années le soumettant à des abus sexuels, des violences physiques, de la maltraitante psychologique.
Lorsqu’il revient dans sa famille, Robbie est plus âgé mais ce n’est certainement pas sa métamorphose la plus fondamentale.
L’auteure passe au scalpel les protagonistes de ce roman mais aussi l’environnement, la perception des gens d’un homme qui fait passer le message d’un homme doucereux et qui semble si impliqué dans le devenir de son fils ; le ressenti de ceux qui côtoient un couple dont l’enfant a disparu depuis si longtemps.
Le personnage de Daddy Love est répugnant. Il m’a fait penser à Humbert Humbert de Lolita.
Cet homme est le monstre tel que défini par la société : celui dont le comportement ne permet pas de l’inclure dans l’Humanité. Il est plus facile d’accepter que ces personnes ne fassent pas partie de notre espèce.
Et pourtant, l’auteure le démontre ici, le monstre est le plus souvent un Homme comme les autres mais dont les défauts sont inacceptables au regard de l’Humanité. Faut-il encore le voir et le regarder.
Si le propos est répugnant, la plume est magnifique, à la hauteur de l’oeuvre de Joyce Carol Oates.